« Nul doute que se multiplieront bientôt de “vraies fausses images d’archives” »


[Le Royaume-Uni a organisé le premier sommet mondial consacré aux risques associés à l’intelligence artificielle, les 1er et 2 novembre]

Ressuscitant la voix et/ou l’image des morts au gré des besoins des productions audiovisuelles, l’Intelligence artificielle (IA) est utilisée pour réaliser des trucages au réalisme troublant.

Ainsi, dans la série documentaire Juger Pétain réalisée en 2015 par Philippe Saada, elle redonne vie au Maréchal et à sa politique de collaboration avec les nazis grâce à un procédé de modélisation sonore, à partir des minutes du procès de 1945. Plus récemment encore, Le Monde et l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) [et Ircam Amplify, sa filiale technologique] y ont eu recours pour reconstituer l’appel du 18 juin du général de Gaulle, dont il n’existe aucun enregistrement.

En réalité, ces artefacts sont l’aboutissement de pratiques anciennes. En 1928, Verdun, vision d’Histoire, de Léon Poirier (1884-1968), compense le manque d’images d’archives par une reconstitution fidèle aux récits de l’époque, tournée sur les lieux mêmes avec de « vrais » protagonistes. En 1992, Hôtel du Parc, de Pierre Beuchot, raconte, sous la forme d’un documentaire fictionnel, l’enquête de deux journalistes qui interrogent, après la seconde guerre mondiale, d’anciens collaborateurs joués par des acteurs. Deux exemples aux qualités cinématographiques intrinsèques.

Tel n’est pas le cas des reconstitutions télévisuelles des docu-fictions historiques qui se multiplient depuis les années 2000, dont la médiocrité esthétique ne trompe pas grand monde. Tel n’est pas le cas non plus d’une autre démarche, dite de « perfectionnement des images du passé » : le reformatage en 16/9 et la colorisation des plans d’archives ; ces modifications formelles, en gommant l’origine, le support, le format et l’ancienneté des images, donnent l’illusion d’une continuité historique et technologique entre les époques.

Fabrication pure et simple

Toutes les innovations technologiques dans le domaine des images fixes ou animées ont suscité enthousiasme et critique. Ainsi, en 1895, l’invention du cinématographe par les frères Lumière connut un succès considérable. On affirmait alors que cet appareil de prises de vues, à même d’enregistrer et de restituer la durée et le mouvement, permettait de vaincre la mort.

Cependant, le cinématographe avait aussi ses détracteurs, qui dénonçaient notamment sa capacité à manipuler la réalité. Or, comme l’affirmait le critique André Bazin (1918-1958), son usage est avant tout « une question de technique et un problème de morale » : il est possible de « tricher » avec les images « pour mieux voir et comprendre », mais à condition « de ne pas tromper le spectateur ».

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